POLISSE
Alors que les critiques encensent le dernier long-métrage de Maïwenn « Polisse », je ne peux m’empêcher de formuler quelques critiques..
Le film s’ouvre sur un face à face entre une enfant et une enquêtrice de la Brigade de Protection des Mineurs. Quelques échanges verbaux, une caméra qui traque les personnages, s’enroule à hauteur de l’enfant, qui écoute, qui scrute. Le ton est donné. Le sujet est posé. Le père est mis en cause : pédophilie. L’enfant parle, raconte une « série d’attouchements », que son papa lui « gratte les fesses », la nuit pendant son sommeil. L’enquêtrice questionne la petite fille, formule et reformule ses mots, ses expressions, pour être sure de bien comprendre, de soulever les doutes et les approximations verbales. Lors de cet échange, les personnages ont une présence très forte, proche du documentaire. L’enjeu de cette scène est également considérable. Comment discerner la part de réalité et de fiction dans une parole d’enfant? Quand cette parole peut mener un père en prison, ou laisser un enfant dans la maltraitance. L’enquêtrice capte les signes, juge au feeling, au sentiment général qui se dégage. Mais rien n’est évident, et la responsabilité écrasante.
J’ai aimé cette scène d’introduction. Puis, le film a changé.
Exit la parole d’enfant. A présent, s’installe une ambiance bon enfant proche du sitcom « Hélène et les garçons » ou d’un reality show. Une joyeuse bande de copains se retrouve à la cafet pour « jouter », se vanner, bref, décompresser. Tous différents, tous soudés. Chacun y va de son histoire personnelle, bancale, agitée. Et tous vivent au rythme des appels téléphonique du service, des urgences, des interrogatoires musclés.
Je n’ai pas trouvé ces instants inintéressants, mais cela m’a donné une impression de déjà-vu, de déjà fait. Il y a dans ces plans une façon de ne pas filmer le sujet, de rester à côté, pour ne pas avoir l’air trop grave. Maïwenn travaille la vanne, le fait divers. Dès qu’elle peut s’échapper, elle le fait. Les plans les plus réussis deviennent ceux qui sont le plus étranger au film: une fête dans une discothèque, filmée comme une nécessité, une urgence.
Les enfants, quant à eux, ont rapidement quitté l’écran, laissant leur place aux grands, aux stars de l’écran. Et partir de là, le film se regarde benoîtement, presque en baillant. C’est gras, c’est gros, ça vole pas très haut. Dommage.
Là où le film devient franchement agaçant, c’est dans la volonté de Maïwenn de multiplier les efforts pour nous faire partager son regard tendre et amoureux sur Joey Star. La critique n’en peut plus de vanter sa prestation, criante de justesse et de sincérité. La critique a été séduite comme Maïwenn par ce grand gaillard au grand coeur. Mais,dans un film où la loi est garante du cadre, comment plaider en faveur d’un personnage qui insulte à tours de bras, qui dérape en interrogatoires, violente collègues et hiérarchie ? Un personnage constamment sur le fil du rasoir, dont on tremble à chaque instant qu’il ne craque, casse, crie, tape. Certes, Monsieur a l’élégance d’être sensible,de vibrer, de faire craquer femmes et enfants. Mais comment ? En prêtant son arme à une jeune stagiaire pour la faire kiffer, façon racaille, qui bande le gyrophare et beugle à tout va que c’est lui le flic, le détenteur de la carte qui lui confie les pleins pouvoirs sur tout et n’importe quoi. Maïwenn interprète elle-même cette jeune stagiaire coincée, coiffée d’un chignon façon mémère et affublée de grosses lunettes façon intello cucul. Et l’actrice réalisatrice se met alors à filmer son flirt, avec rococo et effets de caméra pesants.
L’amour rend aveugle. Et Maïwenn ne manque pas une occasion de le mettre en scène. Joey Star devient celui qui la libère, qui la sort de son milieu bourgeois, qui lui fait devenir femme et la protège, façon gros muscles, regard cassé, bouche cabossée, dents défoncées. Maïwenn filme avec grand talent ce délire érotico/amoureux. Autant vous dire que cette histoire, déroulée sous nos yeux complices et légèrement voyeurs, finit par gêner. Mais la réalisatrice, très inspirée sur le sujet, réalise finalement là les scènes les plus justes, les plus fortes de son film. Nous montrer son penchant pour un macho marginal est un régal, qu’elle nous délivre « à l’insu de son plein gré ». La Brigade de Protection des Mineurs devient alors le simple décor du vrai sujet du film : comment je suis tombée amoureuse de Joey Star.
Le film « Présumé coupable » est le contre-point total du film Polisse. Là, l’on filme le monde carcéral sans filtre ni effets stroboscopiques. Un seul personnage central, des personnages secondaires pour le servir. Un don de soi,de part et d’autre de la caméra. Dans ce genre de films, tout le monde y laisse des plumes, y compris le spectateur. Et c’est très bien, parce que c’est la vie, aussi, dans ce qu’elle a de plus sombre. Et quand on a le courage d’aborder un tel sujet avec honnêteté, on ne peut pas faire moins.
Dominique Mulmann
